Définie en 1967 par le sociologue américain Harold Wilensky comme « l’activité de production de connaissance servant les buts économiques et stratégiques d’une organisation », l’intelligence économique a longtemps été négligée en France. Malgré des tentatives récurrentes pour rattraper ce retard, le chemin fut semé d’embûches.
En 1993, un rapport du Commissariat général du Plan tirait la sonnette d’alarme en soulignant « le retard de la France » par rapport aux autres puissances mondiales. Le député Bernard Carayon, expert reconnu en la matière, relança le débat en 2003 en adressant un nouveau rapport au Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin.
Le Sénat passe à l’attaque
Suite à ce rapport, Alain Juillet fut nommé Haut responsable à l’intelligence économique, une fonction créée au sein du Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN). Cependant, ce poste fut remplacé en 2009 par une délégation interministérielle à l’intelligence économique, elle-même dissoute en 2016 au profit du Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), désormais sous l’égide de Bercy.
Malgré ces réorganisations, les résultats escomptés se font toujours attendre. Floran Vadillo, ancien conseiller ministériel, exprimait son désarroi dans Challenges : « On tarde à voir les effets concrets des changements annoncés, le politique ne parvient toujours pas à impulser une vraie stratégie offensive concernant le renseignement économique. » Ce constat est partagé par la commission des affaires économiques du Sénat, qui a présenté en juillet 2023 un ensemble de 23 recommandations pour améliorer l’organisation de l’intelligence économique en France. « Face à une guerre économique qui ne dit pas son nom, un changement culturel et organisationnel est impératif pour protéger nos intérêts et renforcer notre compétitivité », ont souligné les membres de la commission.
L’urgence de la situation est d’autant plus évidente que les crises des trois dernières années ont exacerbé les fragilités de l’économie française, selon la corapporteure du rapport, Marie-Noëlle Lienemann, qui pointe « la naïveté, voire l’inaction des pouvoirs publics ».
Une proposition de loi ambitieuse
En réponse, députés et sénateurs ont trouvé, fin mai 2024, un compromis sur une proposition de loi élaborée par une commission mixte paritaire. Cette loi prévoit la création d’un Secrétariat général à l’intelligence économique, composé d’une équipe pluridisciplinaire, doté d’un réseau de correspondants ministériels et de sous-préfets référents sur le territoire. Directement rattachée au Premier ministre, cette structure pérenne viserait à assurer une coordination efficace entre les acteurs économiques français, qu’il s’agisse de veille stratégique, de protection du patrimoine matériel et immatériel, ou d’opérations d’influence, les trois piliers de l’intelligence économique.
Lire aussi sur L’Essor de la Sécurité : La DGSI lance une alerte sur les risques d’espionnage économique
La loi propose également l’instauration d’un registre national pour les représentants d’intérêts étrangers faisant du lobbying en France, avec des sanctions pénales en cas de non-respect. Enfin, elle prévoit une sensibilisation accrue des étudiants en écoles de commerce, d’ingénieurs, ainsi que dans les universités et les écoles de la fonction publique.
Bien que la dissolution de l’Assemblée nationale ait retardé le processus, la mise en œuvre de cette loi s’annonce complexe dans un écosystème où les entreprises peinent à collaborer. Car les défis à relever sont nombreux : menaces capitalistiques, atteintes au patrimoine informationnel ou réputationnel, captation de savoir et de savoir-faire, cyberattaques, adoption de législations extraterritoriales…