La Commission européenne distribue désormais des téléphones jetables et des ordinateurs vierges à ses émissaires… en partance pour les États-Unis. Jusqu’ici, ces mesures de précaution étaient réservées aux destinations jugées sensibles, comme la Chine ou l’Ukraine. Aujourd’hui, elles s’étendent aux missions transatlantiques.
Changement d’ère
Cette procédure inédite, révélée par le Financial Times, vise pour l’heure à sécuriser les communications de plusieurs hauts fonctionnaires européens attendus à Washington pour les réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale. Trois commissaires – chargés de l’Économie, des Services financiers et des Partenariats internationaux – sont directement concernés.
En cause : une méfiance grandissante à l’égard des services de renseignement américains, jugés de plus en plus intrusifs dans un contexte diplomatique sous tension. Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, les rapports transatlantiques ont changé de ton : l’Europe n’est plus systématiquement considérée comme une alliée, mais de plus en plus souvent perçue comme une rivale, voire un obstacle. Une rhétorique autrefois réservée aux relations sino-américaines s’est progressivement étendue aux partenaires européens, redéfinissant la manière dont Bruxelles perçoit Washington – non plus comme un allié stratégique évident, mais comme un acteur imprévisible, potentiellement hostile.
Douanes américaines : entre saisies et surveillance
Les inquiétudes se cristallisent en particulier autour des pratiques jugées invasives des douanes américaines. À l’arrivée sur le territoire, les appareils électroniques peuvent être confisqués, les données copiées, les communications passées au crible. Certains ressortissants européens se sont même vu refuser l’entrée pour avoir exprimé, sur les réseaux sociaux, des opinions critiques à l’égard de l’administration américaine ou transporté des documents jugés sensibles.
Snowden, PRISM et la fin des illusions
Ce basculement ne résulte toutefois pas d’un choc soudain, mais s’inscrit dans une défiance progressive, amorcée dès 2013 avec les révélations d’Edward Snowden sur les programmes de surveillance de la NSA. Le scandale PRISM, tout comme les écoutes de dirigeants européens, d’Angela Merkel à François Hollande, avaient déjà profondément ébranlé les relations diplomatiques entre Bruxelles et Washington. Barack Obama avait bien tenté de restaurer la confiance en posant quelques garde-fous. Mais l’ère Trump a dissipé les dernières illusions, et Bruxelles entend désormais adopter une posture de vigilance constante.
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À sa manière, le président américain nouvellement élu aura donc servi de catalyseur à une forme de réveil stratégique européen – une prise de conscience accrue de la nécessité de se prémunir, y compris face à ses alliés historiques. Un réveil tardif, mais salutaire ?