Impression renforcée par des propos pour le moins maladroits d’un ministre de l’Intérieur donnant le sentiment qu’il y a le « bon » manifestant et celui qui ne le serait pas avec un filtre d’analyse qui serait le travail et sa défense. Impression renforcée aussi par les assauts de compréhension de la classe politique qui a pour les agriculteurs les yeux de Chimène et pour les écologistes et autres défenseurs de l’environnement ceux de leur parti politique respectif.
Toutes ces apparences dressent dès lors un tableau de la doctrine française du maintien de l’ordre qui semblerait privilégier le flou artistique sur la ligne claire.
Si on s’en tient à l’analyse strictement juridique de Frédéric Rose-Dulcina en effet on peut déceler une géométrie d’apparence variable au sein de laquelle deux actions semblant identiques n’ont pas le même traitement.
Mais cette approche n’est peut-être pas celle qu’il convient de retenir.
La notion de maintien de l’ordre repose plus sur une obligation de résultat que de moyens.
Le résultat à obtenir est, si possible, l’absence de dégradations, de violence, de troubles à l’ordre public. Les moyens sont dès lors proportionnés à cet objectif, la force devant rester raisonnable dans son usage et conforme aux principes d’un état de droit et du droit reconnu des citoyens à manifester par exemple.
La réponse qui a été apportée par les forces de sécurité aux manifestations des « gilets jaunes » a été pour le moins adaptée. Les déchainements de violence et de vandalisme dont nous avons pu être les témoins étaient injustifiés, ne pouvaient perdurer et méritaient d’être stoppés. Quand la manifestation, aussi populaire soit-elle, est le prétexte au vandalisme et au saccage – dont le coût sera supporté par la communauté nationale – il est normal que la réponse des forces de l’ordre soit proportionnée et guidée autant par le souci de préserver les citoyens, les biens et les personnels concernés. Cette réponse peut entrainer des blessures – dans les deux camps – mais libre à chacun de prendre ses responsabilités. Si un politique comme Laurent Wauquiez a pu trouver intelligent de ne pas condamner l’incendie de la préfecture du Puy en Velay voire de donner le sentiment de soutenir les fauteurs de troubles il ne faut pas s’étonner que certaines dérives soient possibles mais constater aussi que ses ambitions plafonnent aux 5% que lui accordent les sondages.
Une réponse de même nature a pu être apportée aux écologistes et défenseurs de l’environnement (Extinction Rébellion par exemple) qui ont souhaité créer des ZAD ou interdire l’implantation de « méga-bassines ». Le droit est alors le même pour tous, celui qui permet l’implantation d’un aéroport ou d’un barrage est aussi là pour réprimer ceux qui s’y opposeraient au nom d’un droit supérieur qui serait le leur et qui ne reposerait sur aucun fondement légal.
Les manifestations des agriculteurs sont d’une autre nature. Elles ne visaient pas à remettre en cause l’ordre établi mais imposer un rapport de forces avec le pouvoir politique par des moyens, certes spectaculaires et visibles, voire ennuyeux pour les usagers des autoroutes, mais qui ne cherchaient ni à la destruction ni à la violence. Même si les propos du ministre de l’Intérieur manquaient de pertinence ils tendaient à refléter la vocation du maintien de l’ordre à savoir sa proportionnalité mais aussi sa sensibilité à l’air du temps et au respect du droit.
Que les agriculteurs bloquent une route ou que les contrôleurs SNCF fassent grève et bloquent les trains on conviendra que les moyens se ressemblent de même que les objectifs poursuivis. Dans les deux cas nous sommes dans une revendication catégorielle ayant des visées professionnelles et financières. L’illégalité de certains comportements, blocage de routes, arrêts de trains, déversement de lisiers et autres sur la voie publique, feux de bottes de pailles qui vaudraient à tout à chacun une amende voire un peu de prison, n’est pas sanctionnée au regard de cette exigence de réponse équilibrée et de préserver un ordre public qui n’est pas fondamentalement remis en cause.
Le maintien de l’ordre n’est pas à géométrie variable, il est comme la girouette elle ne tourne pas c’est bien le vent qui l’oriente. Le vent c’est celui de la politique qui peut faire des choix de sanctions ou de laisser-faire. Ce n’est en rien scandaleux la sécurité publique étant un domaine régalien par excellence où il n’est pas interdit de faire primer une conception de l’intérêt général qui pourrait prendre quelques libertés avec la rigidité de la règle de droit.
Savoir utiliser la règle n’est-il pas après tout la base de la géométrie ?