La sécurité de demain n’est pas de la science-fiction et pourtant

29 juin 2024 | Société

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Photo : sebastian-kanczok-unsplash(1)

La sécurité de demain n’est pas de la science-fiction et pourtant

par | Société

Depuis des décennies la NASA fait appel à des écrivains de science-fiction pour avoir des idées que leurs ingénieurs, par trop rationnels, ne pourraient avoir. En France la DGA fait de même depuis quelques années elle aussi.

L’auteur de science-fiction peut être un doux rêveur, mais il peut être aussi un vrai scientifique qui a une vista, avant les autres, de comment et où les évolutions technologiques peuvent nous mener. Souvent dans des articles j’ai souvent invoqué les mânes d’Asimov, Farmer, K Dick, Van Vogt, C Clarke, Bradbury, Bordage ou Gloukhovshi car ils ont, ou ont eu, les mêmes capacités de projection futuriste que celles d’un Verne ou Wells en leur temps au XIXe siècle.

Les ingénieurs de leur côté avancent avec, souvent, des œillères et tracent une ornière qui leur semble la seule voie rationnelle pour passer de la recherche à l’expérimentation. Ce n’est qu’après cette dernière étape que vient le temps du questionnement, ce que met en lumière le film Oppenheimer par exemple.
C’est le propos de la Red Team Défense de la DGA qui vient de publier son opuscule saison 3 « ces guerres qui nous attendent 2030-2060 » aux éditions PSL Equateurs. Sans dévoiler le plaisir qui pourrait être le vôtre à cette lecture, on peut néanmoins mentionner les deux scénarios qui sont évoqués comme celui de l’Hydre et celui de la ruée vers l’espace.

L’Hydre serait la capacité donnée de forger des combattants – à partir de citoyens lambda – rompus à toutes les armes et tactiques par le biais d’implants neuronaux. Nous ne sommes pas très loin du scénario du premier opus de la série Matrix où Néo, par le biais de téléchargements, se retrouve à même de piloter un hélicoptère, de maitriser les arts martiaux et d’utiliser toutes armes se trouvant entre ses mains. Cette Hydritisation de l’humain n’est pas une perspective si éloignée que cela, Elon Musk a déjà fait part de son intention de doter l’homme d’implants visant à augmenter ses capacités cognitives et, pourquoi pas, physiques aussi. « L’homme qui valait 3 milliards », qui a été imaginé dans les années 70 pour une série télévisée est, au sens propre, pour demain. D’ores et déjà tous les attributs physiques améliorés par des prothèses sont disponibles et les progrès de la robotique et de l’IA devraient encore accélérer cette réalité.

La ruée vers l’espace comme son nom l’indique consiste à s’affranchir des traités et usages qui voulaient que l’espace soit un espace non appropriable pour s’approprier des éléments de celui-ci à des fins économiques ou militaires. Cette nouvelle frontière n’est pas, pour le moment, accessible à tous les pays. Seules quelques nations sont en mesure de prétendre concourir sur ce terrain, mais elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir, Corée du Nord ou Arabie Saoudite par exemple, participer à une ruée vers l’espace pour laquelle sont déjà en lice les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon, l’Europe, l’Inde, mais aussi Israël, l’Iran, la Corée du Sud, le Royaume-Uni…une liste où la puissance spatiale côtoie les capacités nucléaires.
Tout cela peut sembler très éloigné des préoccupations de nos concitoyens et pourtant ces réalités sont au cœur de notre sécurité future.

L’amélioration des combattants – un homme amélioré en somme – est une étape obligée si on en juge par l’accessibilité, à quelques réserves près, de possibles adversaires à des armes de performances équivalentes. Le décalage aujourd’hui entre deux adversaires peut se faire sur l’usage de l’IA – Israël ne se prive pas de le faire dans la bande de Gaza avec des dommages collatéraux importants dus à quelques erreurs de frappe – et le recours à quelques avancées technologiques pour des systèmes d’armes très coûteux, mais cela semble parfois relever du paradoxe de Zénon d’Elée. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a mis en évidence un équilibre – que personne n’envisageait – qui ne peut être remis en cause que par des différences quantitatives du nombre de combattants. Ces derniers aujourd’hui peuvent être dopés comme les troupes allemandes des années 40 se dopaient à la pervitine. Et, si nous ne sommes pas encore dans un scénario à la Universal Soldiers (film de série B de 1992) les grandes armées s’y attèlent.

La France fait aujourd’hui de ses soldats des FELIN (Fantassin à équipements et liaisons intégrés) où la technologie se porte comme un exosquelette associé à la tenue de combat. Demain qu’en sera-t-il ? Tout est envisageable, les implants neuronaux ou physiques sont déjà prêts, il suffit de les implanter.
Il y a 300 ans le contrôle des territoires dont Louis XIV s’était fait une spécialité symbolisait la puissance d’un pays.

Il y a 200 ans le contrôle des océans était le parangon de la puissance, le Royaume-Uni en a été le vivant exemple lui permettant de s’imposer comme une puissance impériale sur un territoire sur lequel « le soleil ne se couchait jamais ».

Il y a 100 ans le contrôle des airs a permis à des puissances de s’imposer lors de conflits (guerre d’Espagne par exemple) qui ont abouti à la Seconde Guerre mondiale, où la maitrise allemande du ciel dans un premier temps à permis des victoires, pour, in fine, aboutir à la défaite face à une puissance aérienne sans équivalent des Alliés.

Aujourd’hui c’est le contrôle de l’espace qui semble s’imposer comme le nouveau terrain d’opposition entre grandes puissances avec la particularité que des entreprises privées sont elles aussi concernées. Les constellations de satellites sont autant de marqueurs d’une puissance technologique tout en étant des cibles identifiables pour celui qui souhaiterait atteindre et mettre à mal des infrastructures de communications tant civiles que militaires. La présence sur des planètes, la Lune aujourd’hui, Mars demain sera aussi importante bientôt que Christoph Colomb découvrant l’Amérique en 1492.

Cette course à l’espace a vocation à affecter notre sécurité.
Les satellites qui gravitent autour de la Terre permettent à nos GPS de nous guider, de recevoir des bouquets télévisuels, d’analyser et de prédire la météo, d’observer les mouvements humains comme, par exemple, les préparatifs russes de février 2022 à l’encontre de l’Ukraine, de déceler des actions dangereuses comme des programmes de recherche nucléaire d’États qui ne seraient pas enclins à les dévoiler, de mettre en place des réponses, éventuellement militaires, à des actions offensives étatiques ou terroristes.

La nouvelle frontière que mettait en avant Kennedy dans les années 60 est devenue un nouveau champ où interagissent le privé (Starlink par exemple) et le public (ESA ou NASA), le très riche comme les États-Unis, mais aussi le pauvre comme la Corée du Nord, le laïc comme le religieux, le civil comme le militaire. Cette nouvelle frontière en est d’autant moins une que la franchir semble coûter de moins en moins cher et que les transferts de technologie entre nations permettent de rattraper des retards, en contrepartie de livraisons d’armes.

La France s’est récemment dotée d’une branche spatiale pour l’armée de l’Air (et donc de l’Espace) actant d’une prise de conscience bienvenue. Il faut que les moyens suivent. Cette course à l’espace est onéreuse, il sera donc important que le politique en soit conscient et ne retombe pas dans les errements des années 90 ou la croyance en un monde sans guerre – surtout en Europe – s’est révélée être une erreur majeure et ce que l’on pensait être les « dividendes de la paix » sont en passe de devenir les coûts de la guerre.

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Auteur / autrice

  • Nicolas Lerègle

    Nicolas Lerègle, avocat au barreau de Paris, ancien auditeur de l’INHES (19e section), conférencier en sécurité économique labélisé Euclès et certifié en management du risque criminel et terroriste en entreprise (INHESJ/EDHEC). Ancien directeur des affaires immobilières et de la protection du patrimoine de groupes internationaux, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’immobilier publiés chez Economica.

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