Ce droit du sol n’est toutefois pas gravé dans le marbre, et ce contrairement aux dires de certains commentateurs politiques puisque l’article susvisé du Code civil a été modifié à plusieurs reprises. Récemment, l’article 25 de la “loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration” prévoyait la fin de l’automaticité (à 18 ans, un enfant né en France de parents étrangers ne devenait plus automatiquement français et devait engager des démarches et faire une demande entre ses 16 et ses 18 ans).
Le Conseil constitutionnel a toutefois jugé non conforme à la Constitution pour une question procédurale cet article dans le cadre de sa décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 (sans préjuger de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles). En effet, les Juges de la rue Montpensier ont considéré que cet article était un cavalier législatif. Ce qui est formellement interdit par la Constitution. Un cavalier législatif est usuellement compris comme désignant « les dispositions contenues dans un projet ou une proposition de loi qui, en vertu des règles constitutionnelles ou organiques régissant la procédure législative, n’ont pas leur place dans le texte dans lequel le législateur a prétendu les faire figurer”.
Le premier alinéa de l’article 45 de la Constitution dispose d’ailleurs que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Mais le Conseil constitutionnel avait déjà consacré cette notion dans une décision du 28 décembre 1985 et a pour la première fois censuré des cavaliers législatifs par une décision du 12 janvier 1989. Le Code civil dont est issu le droit du sol n’est pas le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile modifié par la loi immigration susvisée : le lien entre immigration et nationalité n’est en effet absolument pas évident. La décision des juges constitutionnels est donc difficilement critiquable au regard de ce qui précède.
Le fameux “gouvernement des juges » a pourtant encore été récemment ressuscité à la suite de la décision susvisée du Conseil constitutionnel. Ce n’était pas la première fois que la loi demandait à des enfants nés en France de manifester leur volonté de devenir Français depuis 1945. En effet, cette règle a été modifiée une première fois en 1993 lors d’une réforme sur le droit de la nationalité portée à l’époque par Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur. Cette disposition est restée en vigueur relativement peu de temps puisque la gauche, de retour au pouvoir en cohabitation en 1998, est revenue à l’attribution automatique de la nationalité française à la majorité. Récemment encore, le droit du sol a encore chahuté la classe politique puisque le gouvernement envisage de supprimer le droit du sol à Mayotte, devenu département français depuis presque 13 ans. A cet égard, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a annoncé une révision constitutionnelle visant à supprimer le droit du sol dans le 101e département français.
Depuis la loi n 2018-778 du 10 septembre 2018, la législation impose déjà aux parents étrangers un minimum d’un an de résidence en situation régulière sur le sol français pour que leur enfant, s’il naît à Mayotte, puisse prétendre à la nationalité française. L’exécutif entend aller plus loin encore : le fait de naître à Mayotte ne permettrait plus aux enfants de parents étrangers d’acquérir la nationalité française. Le droit du sol doit-il être déconnecté de la question des flux migratoires ? Je le pense. Cette réforme du droit du sol sur le territoire mahorais constituerait un sérieux coup de canif au jus solis. Et rien ne dit que cette réforme permettrait de casser le “phénomène migratoire” que connaît l’île comme l’affirme Emmanuel Macron. Mais, il faut admettre par honnêteté intellectuelle que la France n’a pas toujours été un fer de lance du droit du sol.
Le jus sanguinis – le droit du sang (lié à la filiation) – est aussi une réalité car depuis la deuxième moitié du XVIe siècle, le jus sanguinis et le jus soli ont toujours coexisté dans le droit français. Selon les époques, l’un ou l’autre de ces deux principes a prévalu. Ce qui est certain c’est que ces deux droits relèvent de deux philosophies bien différentes.