Le pouvoir de substitution d’action du préfet en matière de police administrative : la procédure rien que la procédure !

6 avril 2024 | Droit

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Le pouvoir de substitution d’action du préfet en matière de police administrative : la procédure rien que la procédure !

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Par une décision du 14 mars 2024, le Tribunal administratif de Versailles a jugé qu’un préfet ne peut pas légalement se substituer à un maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police générale sans l’avoir mis en demeure de les utiliser, et ce, même si c’est le maire qui le lui demande (TA Versailles, 14 mars 2024, n°2306013, 2308234).

La police municipale est assurée par le maire. Toutefois, selon l’article L.2215-1 1°) du Code général des collectivités territoriales (CGCT), “le représentant de l’État dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques”. Autrement dit, il existe un pouvoir de substitution d’action du préfet en matière de police administrative en cas de carence du maire. Ce droit ne peut cependant “être exercé par le représentant de l’État dans le département à l’égard d’une seule commune qu’après une mise en demeure au maire restée sans résultat” selon le même article L.2215-1 1°) du CGCT.

La question qui se pose dans l’espèce ici commentée est de savoir si un préfet peut légalement se substituer à un maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police générale sans l’avoir mis en demeure de les utiliser (et ce, même si c’est le maire qui le sollicite).

Dans cette affaire, une société exploite un parc de 100 places de stationnement de véhicules à proximité de l’aéroport d’Orly. Elle y assure une activité de garde de véhicules, de transport routier de personnes avec des véhicules n’excédant pas neuf places, et d’achat-vente de véhicules. Mais, après la constatation de différentes infractions aux Codes de la consommation, de l’environnement, de la sécurité intérieure et de l’urbanisme, le préfet de l’Essonne a, par deux arrêtés des 31 mai et 15 septembre 2023, décidé de la cessation immédiate des activités de cette société sur ce parc pour une durée de trois mois, puis de six mois, et a ordonné à la société de mettre en œuvre toutes mesures pour permettre la restitution à leurs détenteurs des véhicules stationnés, prévenir les personnes ayant réservé un stationnement de son annulation, cesser les activités de transport de personnes et aviser les personnes devant en bénéficier et signaler sur les plateformes de réservation la cessation de son activité. Toutefois, cette société a saisi le Tribunal administratif de Versailles pour qu’il annule ces deux arrêtés.

Le TA de Versailles a donné raison à la société requérante en censurant ces deux arrêtés préfectoraux pour le motif qui suit.

Constatant que le préfet s’est substitué au maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police, il estime “que, contrairement aux dispositions du 1° de l’article L.2215-1 [du CGCT], le préfet de l’Essonne n’a pas pris les arrêtés litigieux après mise en demeure restée sans résultat du maire de Wissous. S’il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions figurant dans les deux arrêtés attaqués, que ce maire a souhaité que le préfet de l’Essonne se substitue à lui, voire a demandé à ce préfet de se substituer à lui, dans l’exercice de ses pouvoirs de police administrative « pour le cas présent », une telle circonstance ne saurait tenir lieu de la mise en demeure restée infructueuse exigée par l’article L.2215-1 qui doit seule permettre, le cas échéant, au préfet d’exercer le pouvoir de police administrative générale au nom et pour le compte de la commune de sorte à engager la responsabilité de cette dernière en cas de faute dans cet exercice. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence du préfet de l’Essonne au titre du 1° de l’article L.2215-1 du code général des collectivités territoriales doit être accueilli”.

La conclusion du juge administratif est donc claire : pas de pouvoir de substitution d’action du préfet en matière de police administrative sans mise en demeure préalable restée sans résultat !

La procédure, rien que la procédure, et ce au risque de paraître extrêmement formaliste.

Cette décision doit, selon moi, être approuvée, car la procédure en droit est essentielle. Elle est presque la sœur jumelle du fond. “La forme, c’est le fond qui remonte à la surface” écrivait Victor Hugo dans son manuscrit “Utilité du beau” (Proses philosophiques 1860-1865).

La sévérité de la solution retenue dans ce jugement peut cependant surprendre quand on sait que la responsabilité de l’État du fait de l’absence de mise en œuvre par le préfet des pouvoirs de substitution aux autorités municipales en matière de police peut parfois être engagée. Il est vrai uniquement en cas de faute lourde (CE, 25 juillet 2007, n°283000, mentionné aux tables du recueil Lebon ; CE, 22 juillet 2020, n°425969, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Reste à savoir désormais si les services de l’État interjetteront appel contre ce jugement récent du TA de Versailles. La vérité du droit en première instance n’est pas forcément la même en cas d’appel…

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