Wakanda Forever ou Rwanda Forever ?

9 mai 2024 | Droit, Société

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Wakanda Forever ou Rwanda Forever ?

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Situé en Afrique subsaharienne, au nord de la Tanzanie et à l’ouest de l’Ouganda, le Royaume du Wakanda, monarchie inventée par Marvel en s’inspirant certainement du groupe ethnique autochtone de la région centrale et du Sud-orientale de l’Amérique du Nord du Sioux, ne serait finalement pas une fiction, mais un pays qui existerait réellement !

La loi « Safety of Rwanda », votée par les deux chambres du Parlement britannique, laisse en effet penser que le WAKANDA, n’est autre que le RWANDA, à quelques différences près.
Ce texte qui décrète que le gouvernement Britannique pourra expulser vers le « Rwanda les migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni » est venu pour commencer, en réponse à la décision de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) du 13 juin 2022 qui avait statué inextrémisse sur le cas d’un irakien en indiquant que « Le demandeur d’asile ne peut être transporté dans le pays (Rwanda) tant que la justice britannique ne s’est pas prononcée sur la légalité du projet de loi du gouvernement ».
Puis et surtout, en réponse à la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni du 15 novembre 2023, qui avait jugé que le programme pour le Rwanda était illégal dans la mesure où ce texte tel qu’il avait été rédigé en 2022 risquait de faire échec à la protection de « vrais réfugiés ».

Décrit comme étant un « véritable accord de sous-traitance », le nouveau texte prévoit que les demandeurs d’asile effectueront leurs démarches depuis Kigali (capitale du Rwanda), qui se chargera également d’examiner la demande de protection, et ce, peu importe leur pays d’origine. Les demandeurs d’asile admis à la protection internationale pourront rester sur place, mais sans possibilité de retour au Royaume-Uni ; L’objectif reste le même, dissuader la traversée illégale de la Manche.
Le quoi qu’il en coute de cette mesure parait cependant contredire le principe fondamental de « non-refoulement » selon lequel un réfugié ne devrait pas être renvoyé dans un pays où sa vie et/ou sa liberté sont gravement menacées, prévu par La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ratifiée par la Grande-Bretagne le 11 mars 1954.
La nouvelle loi Britannique d’avril 2024 pour la mise en exécution de l’accord avec le Rwanda n’est en réalité qu’une manière de créer une annexe délocalisée de son pays.
Pour justifier de la délocalisation de « la terre d’asile britannique » au pays des mille collines, avec un aller simple, sans possibilité de retour en Angleterre, cette dernière met en avant l’adhésion du Rwanda le 3 janvier 1980 à la convention de 1951, ainsi que son adhésion le 29 novembre 2009 au Commonwealth.

Est-ce pour autant une garantie au respect du droit de l’asile et des libertés fondamentales des candidats au statut de réfugié ?

Selon le rapport 2023/24 publié par Amnesty International, le président Paul Kagame a déclaré en janvier dernier à propos des personnes réfugiées de RDC : « Nous ne pouvons pas continuer d’accueillir des réfugié·e·s si c’est pour plus tard se voir en plus réclamer des comptes à leur sujet, ou même se voir insulter. » (https://www.amnesty.org/fr/location/africa/east-africa-the-horn-and-great-lakes/rwanda/report-rwanda/)
Suivant ce même rapport, le Rwanda souffre de plusieurs dysfonctionnements mettant en doute les capacités de ce pays à garantir :la liberté d’expression et d’association, le droit à un procès équitable, à la justice et à des réparations.
Sujet encore plus sensible, le Rwanda est un pays dans lequel les cas de torture et autres mauvais traitements infligés par des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire existent encore aujourd’hui.
Dès lors, peut-on considérer que le Rwanda peut garantir l’accès effectif à l’asile politique et garantir un traitement équitable et respectueux des droits fondamentaux des demandeurs d’asile envoyés par l’Angleterre ?

Un article de Human Rignths Watch (https://www.hrw.org/fr/world-report/2022/country-chapters/rwanda) a relaté l’histoire de Christopher Kayumba, ancien rédacteur en chef du journal The Chronicles, selon l’article publié par l’ONG, après que celui-ci avait publié une lettre ouverte pour critiquer la gestion de la crise du Covid-19 et son impact sur la population, et où il dénonçait par ailleurs l’existence de « maisons privées » où des personnes seraient régulièrement détenues illégalement et torturées, l’ancien journaliste a fait l’objet d’accusations et d’un procès controuvé.
Selon ce rapport, le cas de Kayumba, n’est pas isolé, « la liberté d’expression aurait tendance à être censurée au Rwanda ».

Dans cet ordre d’idées, un rapport publié en février 2023 par la fondation Jean Jaurès décrit le régime du Rwanda comme étant une politique qui : « pose problème au regard des libertés politiques et civiles et, plus généralement, de « droits humains fondamentaux » (Michela Wrong, – Rwanda is a brutal, repressive regime. Holding the commonwealth summit there il a sham- The Guardian, 22/06/22). Le régime autocratique de Kigali, fondé sur la force et la violence, place en effet le Rwanda au rang « des nations les plus répressives du continent africain »( https://jean-jaures.org/publication/le-rapprochement-france-rwanda-droits-de-lhomme-et-interets-nationaux/).

Ainsi, si l’on doit se reposer sur ces différents rapports et articles nous ne pourrons qu’en conclure que le Rwanda n’a pas encore la capacité de garantir un traitement adéquat aux réfugiés qui seront envoyés par notre voisin d’outre-Manche.Pourtant, la nouvelle loi votée entre le 23 et le 24 avril dernier promet garantir l’accès à l’asile politique, reste à savoir comment.
« Tout ce qui se ressemble n’est pas identique » (William Shakespeare). Il apparait finalement que l’invention cinématographique du royaume du Wakanda est bien différente du Rwanda.

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