La vidéosurveillance algorithmique où le citius, altius, fortius de Big Brother

30 mars 2024 | Technologie

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La vidéosurveillance algorithmique où le citius, altius, fortius de Big Brother

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La vidéosurveillance algorithmique (VSA) est un système de vidéosurveillance utilisant l'intelligence artificielle. Parfois également appelée vidéosurveillance "intelligente", "automatisée" ou "augmentée", elle permet d'analyser automatiquement des images par des logiciels pour reconnaître, par exemple, des mouvements suspects ou des formes. Selon la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés), le gendarme des données personnelles, la “vidéo augmentée désigne ici des dispositifs vidéo auxquels sont associés des traitements algorithmiques mis en œuvre par des logiciels, permettant une analyse automatique, en temps réel et en continu, des images captées par la caméra”.

Il n’aura échappé à personne que les Jeux Olympiques et Paralympiques vont être l’occasion de grands défis sécuritaires.

Ce n’est pas une nouveauté que les Jeux ne se limitent pas à leur dimension sportive. Depuis 1936 (Berlin) les Jeux Olympiques sont devenus une vitrine politique, depuis 1968 (Mexico) ils sont un réceptacle de mouvements revendicatifs qui peuvent s’exprimer dans la violence et la répression, en 1972 (Munich) ils ont basculé dans le terrorisme, puis dans une litanie de boycotts successifs ; par les pays africains en 1976 (Montréal), par les Américains en 1980 (Moscou), par les Russes en 1984 (Los Angeles).

La surenchère financière dans les infrastructures a été conjuguée avec un environnement de plus en plus anxiogène, marqué par le terrorisme de masse (Madrid, Londres, New York, Paris et maintenant Moscou) et l’émergence d’Etats de plus en plus totalitaires (Chine, Russie) qui font de « leurs » Jeux ce que les nazis en avaient fait en 1936 : un outil de propagande.

Dans cette histoire de l’olympisme, la sécurité s’est imposée comme une préoccupation de tous les instants. Les moyens humains consacrés à ce sujet sont pléthoriques, mais toujours jugés insuffisants. Aussi, au fur et à mesure, le recours à la technologie s’est imposé comme un complément obligé. Si les méthodes sont toujours les mêmes et fondées sur les sens, le regard (des caméras), l’audition (les écoutes), l’odorat (des brigades cynophiles), le toucher (des vigiles) les apports des progrès des équipements et, aujourd’hui, de l’intelligence artificielle constituent des avancées aux multiples répercussions.

La Vidéosurveillance algorithmique (VSA) est clairement le dernier avatar de cette évolution et d’une omniprésence de la sécurité dans nos vies.

Le régime juridique de la VSA a été présenté par Frédéric Rose-Dulcina dans son article « le cadre juridique de la vidéosurveillance algorithmique : les JO, un test grandeur nature ? » (www.lessordelasecurite.org) on ne va donc pas revenir dessus. Il est ici plutôt question de déplacer le sujet sur un terrain plus sociologique à savoir celui de l’équilibre, toujours improbable ou instable, entre la sécurité et la liberté.

Si plus de 40 ans se sont écoulés depuis la loi du 2 février 1981 et que cette loi a été, dans son texte ou son esprit, abrogée (1983), l’esprit qui la guidait a été lui plus permanent, remanié, ressuscité selon les gouvernements en place. Cet équilibre entre sécurité et liberté constitue assurément une obsessionnelle constance de notre vie politique, la VSA offre une évolution intéressante susceptible de déplacer encore une fois un curseur qui a déjà du mal à trouver un point d’équilibre.

La VSA c’est de la prévention. Nous n’en sommes pas à Minority Report (publié en 1956) mais encore une fois Philip K Dick a semblé anticiper il y a près de 70 ans des technologies et des désirs sécuritaires que nous connaissons aujourd’hui.

En utilisant des algorithmes avancés pour analyser les flux vidéo en temps réel, la VSA peut identifier des comportements suspects, détecter des menaces potentielles, et aider à prévenir les crimes avant qu’ils ne se produisent. Par exemple, en identifiant un individu connu pour des activités criminelles antérieures dans un lieu public, les forces de l’ordre peuvent intervenir rapidement pour éviter une récidive. De plus, la VSA peut jouer un rôle crucial dans la gestion des réponses aux catastrophes naturelles ou aux incidents terroristes, en facilitant l’évacuation rapide des zones à risque et en aidant les secouristes à localiser les victimes.

On notera simplement que cette technologie, aussi merveilleuse soit-elle, arrive, comme dans le livre évoqué supra, à mélanger deux notions antinomiques. L’infaillibilité technologique supposée être de mise et deux probabilités, celle de l’erreur analytique des données reçues et celle de la commission effective d’un acte délictuel, qui reste une conjecture puisque, par essence, il ne se produira justement pas.

Il serait aisé de vendre aux citoyens les avantages d’un système autorisant une telle prévention, il conviendrait de ne pas trop insister sur le caractère subjectif de certaines interventions ou décisions.

La VSA c’est de la prévention mais c’est aussi de la surveillance qui est poussée à un niveau rêvé par tous les régimes autocratiques, ce qu’ils ne se privent pas de mettre en œuvre au demeurant.

Le Big Brother du 1984 de G Orwell (publié en 1949) peut aujourd’hui assumer son « Big Brother is watching you » et le ferait certainement grâce à la VSA.

À ce stade la VSA sort du domaine du droit pour aborder celui de l’éthique qui permet de définir, au regard des libertés accordées aux citoyens, ce qui relève de la vie privée et ce qui n’en relève pas.

Le citoyen, chez lui, est en théorie dans une sphère privée impénétrable, mais il est aussi supposé avoir une vie privée dans la sphère publique, en marchant dans la rue, en arpentant un centre commercial, dans sa voiture ou les transports en commun, une VSA le surprenant dans une situation délicate ou intime mais non répréhensible peut lui être très préjudiciable si aucune règle ne vient encadrer la conservation des images ou les qualifications et devoir de confidentialité des personnels les regardant et qui sont susceptibles de déclencher une intervention.

Une information des citoyens est donc un préalable indispensable de même que la connaissance des voies de recours qui leurs sont ouvertes en cas d’abus ou d’erreurs.

On peut penser que lors des Jeux Olympiques/Paralympiques à Paris la VSA va être déployée de façon massive.

Comment pourrait-il en être autrement tant les informations qui circulent pointent toutes l’impréparation des autorités et organisateurs en termes de personnels humains qui pourront être affectés à cet événement ? C’est bien évidemment une solution pour ne pas dire la seule solution.

La VSA pourra à cette occasion faire sienne la devise olympique.

Citius car ses algorithmes et l’usage massif de logiciels d’Intelligence Artificielle devraient lui permettre d’apporter des réponses immédiates à certaines situations sensibles. Dès lors que reconnaissance faciale, analyse comportementale, observations seront complémentaires, il sera en effet possible de faire une prévention qui par sa célérité frôlera l’anticipation.

Altius, car la VSA se niche en haut de nos pylônes, lampadaires et autres points surplombants permettant de couvrir l’aire la plus importante, si en plus elle est embarquée dans des drones de surveillance nous aurons littéralement une bulle de surveillance qui sera posée sur la capitale et les sites olympiques. Il conviendra de ne pas faire d’écart.

Fortius, nous avons ici l’embarras du choix. Les moyens qui seront mis à disposition pour cet événement dépasseront de beaucoup ce qui était fait jusque-là. Les enjeux politiques et d’image étant forts et la paranoïa qui est l’essence même d’une certaine conception de la sécurité – en cela l’attentat de Moscou ne va pas aider – va certainement amener la multiplication de cette VSA.

La VSA modifie indéniablement l’équilibre entre sécurité et liberté dans nos sociétés. Si elle offre des possibilités sans précédent pour améliorer la sécurité publique, elle soulève également des questions fondamentales sur la surveillance, la vie privée et la liberté individuelle. Trouver le juste milieu nécessitera une approche délicate qui pourra faire l’objet de développements ultérieurs suite aux enseignements de cette période olympique.

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Auteur / autrice

  • Nicolas Lerègle

    Nicolas Lerègle est directeur de la rédaction de l'ESSOR. Il est ancien auditeur de l’INHES (19e section), conférencier en sécurité économique labélisé Euclès et certifié en management du risque criminel et terroriste en entreprise (INHESJ/EDHEC). Ancien directeur des affaires immobilières et de la protection du patrimoine de groupes internationaux, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’immobilier publiés chez Economica.

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