La question mérite d’être posée tant l’histoire s’accélère et que les assurances d’hier ont laissé place aux doutes d’aujourd’hui et aux angoisses de demain. Il n’est pas possible de penser doctement les contraintes guidées par la sécurité d’un pays comme une vérité révélée et intangible qui s’appliquerait ne varietur dans un environnement qui plus que changeant est en permanent bouleversement.
Dans un meilleur des mondes aseptisé et guidé, la RSE n’a même pas besoin d’être verbalisée pour s’imposer. Quand tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté on n’a pas de mal à imaginer que les entreprises veillent en permanence au bien-être de leurs salariés, à leur développement durable et à la permanence d’un environnement préservé. Mais quand les conflits sociaux et militaires, les fractures sociales et les différences de classes sont de mise il est plus délicat d’imposer comme un dogme une RSE qui apparaitrait comme éloignée des réalités du terrain.
Le basculement de notre économie dans une économie de guerre, à ne pas confondre avec l’économie d’un pays en guerre, les normes et valeurs qui étaient de mise semble tout-à-coup dépassées et décalées.
Emmanuel Chiva le délégué général à l’armement ne pense assurément pas autre chose en notant que les règles d’éthique et de compliance souvent issues de considérations RSE/ISR, que beaucoup d’entreprises, de banques et de fonds d’investissement se sont imposées, constituent des freins absurdes et problématiques à un moment où le pays doit se doter, en matière d’armement, des équipements et technologies les plus performants. C’est une des raisons qui a poussé la DGA à se doter de ses propres fonds d’investissements pour occuper un espace que les fonds d’investissements classiques rechignent voire refusent à aborder.
Rappelons que de telles prévenances n’ont évidemment pas cours aux États-Unis, en Chine ou en Russie.
Le 25 avril 2024 dans son discours Emmanuel Macron s’interrogeait sur les contraintes des normes européennes qui constituaient des biais concurrentiels au regard de celles en vigueur en Chine ou dans d’autres pays qui ne s’en embarrassaient pas. Cela ne sera pas la première marche arrière du gouvernement en matière de développement durable mais celle-ci est un marqueur important du sérieux des incertitudes géopolitiques qui existent actuellement. Mais, paradoxalement, ce qui peut apparaitre comme une marche arrière peut, au contraire, être un accélérateur de progrès et de développement. C’est dans cette logique que le Président s’est, à raison, exprimé.
La question est donc clairement dans l’air du temps, renforcée qu’elle est par un contexte d’insécurité militaire qui amène à des revirements radicaux.
Souvent les thuriféraires de la RSE expliquent que celle-ci n’est aucunement un frein mais, bien au contraire, un levier de développement. Cette approche doit être modérée. Oui des normes environnementales et sociétales peuvent être des vecteurs de croissance et de performance, mais elles peuvent être aussi dans leur application des freins et une source de perte de puissance et d’autonomie stratégiques.
Le réarmement qui est mis à l’honneur en France et cela dans une multitude de domaines ne doit pas être pris comme vide de sens. Le temps des dividendes de la paix est bien terminé et réarmer le pays d’un point de vue militaire, démographique, économique, social, éducation etc. semble une nécessité. Dans de tels moments les obstacles à ce réarmement sont vus comme inacceptables ou devant être réduits.
La France, comme d’autres pays européens, a peut-être un peu trop cru que nos idéaux démocratiques et droits de l’homme étaient l’avenir souhaité de toutes les nations. Cette décennie témoigne qu’il n’en est rien et qu’il est peut-être inutile de jouer au football avec des équipes qui utilisent leurs mains en toute impunité. Il faut que tout le monde joue avec les mêmes règles à peine d’être disqualifié en permanence.
Dans un environnement instable et non sécurisé il serait bon de reprendre la main sur une démarche qui ne nierait pas les atouts du progrès sociétal mais nous ferait entrer dans une seconde dimension dans laquelle les entreprises seraient en mesure de se développer à « armes égales » avec leurs concurrents et se donner la souplesse industrielle et financière pour disposer des moyens de prospérer non seulement dans une économie de guerre mais aussi plus simplement dans un monde concurrentiel se dérégulant à bas bruit.
Il y a quelques années le vocable de « patriotisme économique » faisait hurler de nombreux bords politiques, les mêmes qui, aujourd’hui, jouent les pacifistes de peur de froisser un ours russe avec lequel ils ont ou eurent des relations mielleuses.
Rappelons-nous que l’Histoire est un perpétuel recommencement et que le patriotisme économique n’est pas un gros mot mais bien une nécessité qui ne doit pas être entravée de façon dogmatique.
L’essor de la sécurité et ce dans toutes ses composantes doit être vu comme un enjeu national concernant tous les français et toutes les entreprises. Dans ce contexte on peut raisonnablement penser que nous allons devoir accepter des modifications importantes de nos logiciels de compréhension du rôle des entreprises et de l’État. Pendant des années il a été pensé que les entreprises devaient privilégier à la fois leurs intérêts mais aussi une vision privilégiant des enjeux sociétaux primant sur beaucoup de considérations. Il semblerait qu’en 2024 accompagnant les changements du Monde, l’État et le personnel politique vont devoir être plus impliqués dans les réponses qui devront être apportées aux enjeux sécuritaires, tant nationaux qu’internationaux, qui se profilent et donc la diversité, terrorisme, criminalité, cyberattaques…