La pratique du maintien de l’ordre en France est-elle à géométrie variable ?

14 mars 2024 | Droit

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La pratique du maintien de l’ordre en France est-elle à géométrie variable ?

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Résultat d’un équilibre entre liberté de manifester et respect de l’ordre public, le maintien de l’ordre se définit comme l’ensemble des opérations de police administrative et judiciaire mises en œuvre par des forces de sécurité à l’occasion d’actions organisées ou spontanées, hostiles ou bienveillantes, violentes ou pacifiques, à caractère revendicatif ou festif, se déroulant sur la voie publique ou dans des lieux publics.

La « doctrine française du maintien de l’ordre » est traditionnellement mise en œuvre par deux unités spécialisées de forces mobiles : les compagnies républicaines de sécurité (CRS) et les escadrons de gendarmerie mobile (EGM). Cette doctrine s’appuie notamment sur deux principes : d’une part, la mise à distance des manifestants et d’autre part, l’usage de la force n’est possible qu’en cas d’absolue nécessité, l’usage doit être gradué et toujours réversible.

Cependant, depuis quelques années et notamment depuis les manifestations contre la « loi Travail » en 2016, le maintien de l’ordre fait débat. Les manifestants dénoncent des violences de la part des forces de l’ordre, tandis que policiers et gendarmes s’estiment des « cibles » pour les manifestants les plus violents. En application de l’article 32 de la loi organique du 29 mars 2011, le président de l’Assemblée nationale avait saisi, le 14 février 2017, le Défenseur des droits en vue de réaliser une étude sur « les conséquences de la doctrine et de la pratique du maintien de l’ordre en France par les forces de l’ordre au regard des règles de déontologie qui s’imposent à elles ». Les conclusions du Défenseur des droits rendues en décembre 2017 ont alors été sans ambages.

En effet, selon lui “le modèle du maintien de l’ordre qui se développe en France depuis le début des années 2000 prend une direction radicalement opposée à l’approche développée chez nos voisins européens. Loin d’apaiser les tensions et de garantir la protection de l’ordre public et des libertés fondamentales, il se révèle être contre-productif sur les court, moyen et long termes (…). L’urgence de repenser notre approche du maintien de l’ordre pourrait dès lors être une excellente opportunité pour les pouvoirs publics d’initier une réflexion globale sur les missions de police et leurs modalités”. En six ans, les mêmes critiques persistent puisqu’en 2019 et 2023 le Conseil de l’Europe a demandé à la France de protéger la liberté de réunion et la liberté d’expression contre toute forme de violence, les autorités devant faire en sorte que ces libertés soient respectées et protéger manifestants pacifiques et journalistes contre les débordements et contre les violences policières. De mon point de vue, les choses ne se sont guère améliorées.

Ce qui est certain, c’est que la pratique du maintien de l’ordre n’est pas uniforme puisqu’il existe des disparités géographiques dans l’exercice du maintien de l’ordre (entre la Préfecture de police de Paris et les autres régions) mais aussi des disparités de doctrine et de méthode (elles varient selon qu’elles sont exercées par des unités spécialisées ou non spécialisées). Mais cette doctrine semble aussi varier en fonction du public à encadrer. Encadrer une manifestation à l’initiative d’une association de défense de l’environnement ne va pas générer les mêmes mots d’ordre qu’encadrer une manifestation à l’initiative d’un syndicat agricole.

Le maintien de l’ordre à Sainte-Soline pour encadrer les Soulèvements de la Terre et le maintien de l’ordre lors des récentes manifestations de certains agriculteurs en témoignent s’il en était besoin. Le ministre de l’Intérieur avait qualifié les manifestants déjà rassemblés à Sainte-Soline “ d’éco-terroristes” et décidé de demander la dissolution du mouvement « Les Soulèvements de la terre » co-organisateurs de la manifestation dans les Deux Sèvres. Le Conseil d’Etat a finalement annulé cette dissolution le 9 novembre 2023 (CE, 9 novembre 2023, n°476384, publié au Recueil Lebon). Pourtant, les Juges du Palais-Royal ont admis dans leur décision que des provocations explicites ou implicites à la violence contre les biens imputables audit groupement ont pu effectivement conduire à des dégradations matérielles.

Le maintien de l’ordre à Sainte-Soline a été très critiqué, certains dénonçant un usage excessif et disproportionné de la force. En revanche, lors des dernières manifestations des agriculteurs – parfois elles aussi radicales – une certaine mansuétude des autorités a été observée. De manière explicite, il a en effet été considéré s’agissant de ces dernières manifestations que “c’est en dernier recours que les effectifs de maintien de l’ordre déployés aux abords de bâtiments publics seront autorisés à intervenir, et dans le seul cas où l’intégrité des personnes serait menacée ou les bâtiments exposés à de graves dégradations”.

Ce sont bien les mots de Gérald Darmanin, ils tranchent considérablement avec ceux prononcés lors des manifestations à Sainte-Soline par exemple. Certaines colères seraient-elles plus saines que d’autres ? Ou s’agit-il d’une réelle différence d’appréciation objective ? Il est permis de douter de la réalité de la seconde hypothèse. En réalité, il semblerait que la pratique du maintien de l’ordre en France soit à géométrie variable pour des raisons pas toujours objectives. Admettons-le !

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